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Tous unis, pour l’écologie, le samedi.

Sa soif de sang délirante s’était apaisée.

Elle était assise là, ses grosses fesses sur sa large chaise, qui en retenait de plus en plus difficilement le contenu.

C’était chacun pour soi. Plus question de se mettre à chialer en collant tout sur le dos des copains.

Après avoir humilié, sali, insulté, craché, souillé, dans une absence totale de limites que lui offrait son impunité d’alors, cette arracheuse de dents se demandait, maintenant, à quel moment le Saint Siège allait violemment l’éjecter, pour un aller simple et sans escale.

Aussi, en attendant, était-elle prête à tout afin de sauver la face. Mais on ne peut préserver ce que l’on a pas.

Quand bien même on serait disposé, pour ce faire, et sans rompre avec ses bonnes vieilles habitudes, à emboucher tous les pots d’échappement de la ville.

Direction la Grande Ourse, Marseille, 2019.

Mardi.

Elle avait les cheveux étranges.

Parfois, ils étaient d’une couleur qui rimait avec ce qualificatif, parfois non.
Cela dépendait du type qu’elle voyait.
Parfois, c’était un de ceux qui lui bavaient dessus au boulot, et parfois non.

Elle était encore dans cette période où on dit d’une femme qu’elle est attirante, même si, dans son cas, mieux valait ne pas tarder à se fixer sur un seul homme à la fois.

En attendant, elle espérait grandement que personne ne tombât sur le dossier qu’elle avait monté sur ces dissidents, par l’intermédiaire d’un privé, qui ne l’était d’ailleurs pas complètement.

En effet, une telle trouvaille serait catastrophique.

Pour elle, comme pour toute sa clique.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire, Marseille, 2019.

Welcome to The Jungle.

« Le Sec ». C’était son surnom à la SEC. Il avait toujours avec lui un détecteur de bobards, et c’était son premier jour dans cette histoire.

— Bonjour, tu vas bien ? Moi, je vais toujours bien. Je suis Sandy, et je serai ta meilleure amie ! (Bip) Tu verras, ici, on est, tous, une vraie grande famille (Bip Bip) Tu fais du sport à ce que je vois… tu es marié ? Tu sais, tu peux tout me dire à moi (Bip Bip Bip) Dis, tu ne parles pas beaucoup toi… tu es certainement très intelligent.

Tiens, assieds-toi là. Voici Robert, ce sera ton partenaire. C’est lui qui te formera. Et n’oublie pas que je suis là, si tu as besoin de quoique ce soit… Et, un petit clin d’oeil plus tard, elle s’éloigna dans un dandinement des plus affriolant, que toutes ses heures de vol n’avaient visiblement pas effacées.

— Salut ! Moi aussi, je vais toujours bien ! Moi c’est Bébert, et je serai ton compère, mon garçon ! Moi, ma véritable passion, c’est la chasse et le saucisson ! Puis il se leva, tel un bon élève qui avait parfaitement appris sa leçon. Je vais te présenter le Département. Il étendit sa main vers la gauche.

— Ici, c’est la première équipe. Les « Premium » qu’on les appelle ; le premier choix. Ce sont des gens très cultivés et très intelligents. C’est pour cela que tu auras peut-être l’impression qu’ils ne travaillent pas, c’est parce qu’ils réfléchissent beaucoup en fait. Pour te dire, une fois, il y en a un qui méditait tellement, qu’il n’a pas touché à son PC pendant trois semaines ! Depuis, ils le font tous.

En face de toi, c’est le bureau des Administrateurs. Ils sont extrêmement bienveillants et très à l’écoute. (il ressentit alors une violente décharge électrique provenant la boîte qu’il tenait contre lui) Moi, par exemple, il m’écoutent beaucoup quand je leur racont…bref, ils écoutent, quoi. Et quoi que tu demandes, ils seront très compétents. Une main de fer, dans un gant de plomb. C’est bien comme ça qu’on dit, non ?

À droite, là-bas, le trio que tu vois près de la machine à café, c’est Riri, Fifi et Loulou. Eux non plus tu ne les verras pas souvent à leur bureau, mais ils sont tellement drôles ! Ils sont un peu les « Premium » de la rigolade.
Et si tu veux rester dans l’humour, à côté d’eux, ce sont les cadres historiques de la section « Forces et Attrapes » de notre entité. Si tu as le moindre problème, c’est eux que tu vas voir. Et ils t’aideront.
Ils ont l’air bien dodus comme ça, mais je t’assure qu’ils sont d’une véritable efficacité redoutable. Crois moi (Bip Bip Bip Bip Biiiiiiuuuuuuuii..i… .. .)

Tiens, se dit-il, c’est bien la première fois que ce truc me lâche au bout de seulement cinq minutes.

— Et eux ? Qui est-ce ? Il avait remarqué ce petit groupe de personnes qui se trouvaient dans un coin sombre, en guenilles, tremblotantes, le regard vitreux, la tête baissée, que tout le monde prenait bien soin d’éviter.

— Alors eux…je ne sais pas si j’ai le droit de t’en parler… Bon allez, mais c’est bien parce que c’est toi et que je sens qu’on va être amis, hein ! Eux, c’est.. on les appelle « les putois ». C’est une sorte de troupeau pestilentiel si tu préfères. Ils sont tous plus ou moins malades. On ne sait pas pourquoi, mais il y en a de plus en plus ces derniers temps… Ils ont probablement des problèmes psychiatriques de ce qu’on m’a dit…

Mais, si tu veux mon opinion à moi, je pense, comme beaucoup d’autres ici, que tout ça c’est du bidon. D’ailleurs notre médecin est du même avis que moi. Tu verras, quand tu la verras ; c’est un très bon médecin, le Docteur Sofar-Sogood.

Le mieux pour toi, comme pour tout le monde ici, ça reste encore de ne pas leur parler. Tu risquerais d’attraper ce qu’ils ont et de finir comme eux, fatalement.

Dis moi.. depuis tout à l’heure.. je ne peux m’empêcher de regarder ce que tu tiens dans la main.. tu.. tu m’en donnerais pas un, hein copain ?

We’ve got fun and games.

Boule de…neige ?

« C’était un Mercredi matin, et tous les trois savaient ce qu’ils faisaient là. Quatre, si l’on compte celle qui les accueillait dans ce bureau normalement réservé aux relations avec les partenaires extérieurs. Drôle d’ironie d’ailleurs. Tout ceci était allé un peu trop vite.

Cela ne faisait que quelques jours qu’elle s’était rendue, un matin, dans le patio de cet établissement au-dessus duquel il habitait. Là, elle avait commencé à déblatérer auprès du gérant de cette buvette, sur son voisin du dessus. Par chance pour elle, lui aussi semblait avoir des comptes à régler avec celui-ci.

Mais elle ne s’était jamais imaginée (il faut dire qu’elle n’imaginait jamais vraiment grand-chose) que tout ceci prendrait une telle ampleur ; entre les autres qui s’étaient greffés à cette farce, tous ces arabes, tous ces juifs, les enregistrements, les rires, le pot de départ anticipé de la veille, les gens debout sur les tables… Et aujourd’hui, ça.

Elle avait pourtant l’habitude des petits bidouillages entre amis, mais là c’était un peu trop. On parlait maintenant de l’envoyer à l’ombre, et pour un bon moment. On s’était d’ailleurs arrangé pour qu’il y fût bien accueilli. Sa copine de toujours, peut-être la plus cinglée du lot, avait pris le relais :

— Parfait. Comme ça, nous, on se couvre, et on s’en débarrasse par la même occasion.
— Quand même… Je sais pas… ça fait quelque chose de se dire qu’on ne le reverra plus… lui répondit-elle. Mais cet élan d’humanité était bien tardif.

Ce n’est pas tous les jours, qu’en une heure de temps, on arrive à se rendre complice de la formation d’un mandat criminel. 10+10, 20 ans, si le juge avait passé une bonne nuit, et sans compter le reste. Certes, on peut jouer aux petits mafieux, mais on risque autant que les vrais.

Pendant ce temps, celle qui leur avait ouvert la porte, elle, se demandait si le fait d’avoir cassé le tampon qu’elle tenait encore dans sa main était, ou non, constitutif d’une dégradation de bien public. »

Felipe, En Mai, torche toi avec les faibles, 2017.

«  Je voulais juste faire joujou »

Vamos Carlos.

Enfin, tu l’as atteinte cette lumière qu’ils pensaient éteinte. Celle-ci même qui jusqu’ici ne cessait de s’éloigner à mesure que tu avançais vers elle.

Ton honneur, ta liberté. On t’avait tout pris. Lâché, lynché, souillé, sali par ceux-là même que tu avais contribué à sauver d’un naufrage monumental, de ceux qui préfèrent s’acharner à plusieurs et de loin sur celui qui ne peut se défendre, tentant ainsi d’assouvir la frustration d’une vie médiocre et mieux dormir la nuit, en rêvant secrètement pour certains d’être le quart de ce que tu es, d’avoir le quart de ce que tu as.

Les plus courageux de ces lâches tenteront peut-être de continuer à te discréditer. D’autres, quant à eux, pour ceux qui ne seront pas soudainement devenus muets, essaieront de revenir vers toi, « désolés » et ventre à terre, tels les teckels défroqués qu’ils seront à jamais.

Mais toi, maintenant, repose-toi, et bas-toi. Et sois sans pitié. Eux, n’en ont eu aucune.

« te laisse pas enfler par ces enflures. »

Demirge.

Il n’avait pas rejoué à ce jeu depuis un moment. C’était un jeu vidéo sur mobile, type MOBA, et qui ressemblait à s’y méprendre, comme beaucoup d’autres, à Dota 2. Il l’avait pas mal séché celui-là aussi. La dernière fois qu’il avait joué, ses mains avaient tremblé et son téléphone était tombé par terre. Syndrome Parkinsonien. C’est comme ça qu’ils appelaient ça sur la notice. Un effet secondaire de la saloperie qui l’abrutissait encore plus chaque jour. Et puis, 600 boules, le tel. Merde. Et plus de Demirge.

Demirge, c’était son pseudo. Il n’avait jamais vraiment su d’où il était sorti. Son meilleur ami non plus d’ailleurs. C’est lui qui, il y a des années, l’avait parrainé pour qu’il se lance sur World Of Warcraft (WOW, pour les intimes). Il avait reçu, en échange, une belle monture : une sorte de cheval composé d’étoiles bleu-électrique.

Et lui, il avait tout de suite accroché. Et quelques semaines plus tard, ils jouaient déjà tous les deux dans la guilde d’un ami commun, Clem, sur le serveur Drek’Thar, le nom d’un personnage du jeu. Il jouait heal (soigneur) et il tiendrait toujours ce rôle.

En heal, on ne voyait jamais vraiment le fight. Seulement les barres vertes, empilées en colonnes, qui représentaient le niveau de santé des membres du groupe en temps réel, et sur lesquelles il ne valait mieux pas s’endormir dans certains cas, surtout en début d’extension. Mais ça, ça ne le dérangeait pas. Et puis, après tout, d’autres passaient bien le combat rivés sur le «  kiki » qui lui leur indiquait, en direct là aussi, lequel d’entre eux en mettait le plus au boss. On entendait souvent le RL gueuler sur le TS : Mais…mais dépackez vous bordel !!!

Il avait commencé par un prêtre, un gnome. Car lui aussi il était de petite taille. Ils avaient un racial sympa : « réserve de mana améliorée ». Plutôt pratique à l’époque quand on jouait Sacré, surtout dans les phases de burst (quand les dommages subis étaient important).

Il avait ensuite choisi un pal, en reroll. Spé heal, lui aussi. C’était un jeu plus direct, plus cash. Surtout que, sur les conseils de son ami, il avait tout mis en crit, après l’intel, bien sûr. Un extraterrestre. La plupart de ses « confrères », eux, mettaient tout en hâte. Son jeu était donc plus lourd que les autres, mais quand ça pétait, et ça pétait, il pouvait remettre un type qui était low-life, full, en deux shots. Et au pire, il y avait toujours l’imposition des mains. Ce perso, par contre, était une quiche en multi. Du coup, il restait focus principalement sur le(s) tank(s), et aidait les autres soigneurs en cas de besoin.

Des nuits entières à adapter les strats au fil des wipe qui, la plupart du temps en tout cas, et si la soirée n’était pas trop avancée, devenaient, du coup, de moins en moins nombreux. S’en suivaient, pour son ami et lui, des nuits entières de quêtes, de craft de potions (il était Alchi), quelques donjons et vieux raids, pour gagner des montures rares et pouvoir survoler Storm genre : Hey, regarday ! L’avez pas celle-là, hein ? Bande de nazes 😝… Que de bons souvenirs et d’amitiés virtuelles, nécessaires, dans un moment de sa vie où lui se sentait bien seul irl.

C’était vieux tout ça, et il s’était juré, devant son téléphone explosé à ses pieds, de ne plus jamais toucher à un jeu. Mais ce soir là, il allait déjà beaucoup mieux. En regardant Saw, en plus d’avoir envie de jouer à un jeu, il avait repensé au Pudge. C’est le boucher de Dota 2, et il a la particularité de lancer son crochet dans la direction choisie, afin d’attraper un ennemi qui filerait à l’anglaise, et, ce faisant, le remettre face à son destin. Il saisit alors son téléphone.

Première game. Ça va, en fin de compte, j’ai pas trop perdu la main, se dit-il.

« Who wants to taste my hook ? »