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Qui vivra verra, et vice-versa.

« Il y avait pourtant été habitué assez jeune.

Il n’avait jamais été grand de taille et ne le serait jamais. Sa maman, comme son père biologique, ne l’était pas, et il était arrivé en classe de sixième avec un an d’avance.

Dans la cour de récréation, chaque classe de chaque niveau avait sa place tracée au sol, un peu comme ces places de parking que l’on peut trouver aux abords des grandes surfaces, à la différence que celles-ci étaient assez allongées pour accueillir une trentaine d’élèves et que ces bambins n’allaient pas faire du shopping. Pas encore.

Lorsque la sonnerie indiquait la fin de la récréation, l’usage voulait que chacun regagnât sa file attitrée, dans laquelle il avait laissé son sac le temps de la pause, en rangs de deux, et ce afin de permettre au professeur de faire un premier appel « de visu » avant d’emmener ses élèves sur la voie de la connaissance. Pour lui, ce chemin commençait bien avant que la cloche ne retentisse, et ses pavés étaient loin d’être tous bien intentionnés. C’est peut-être ça, le Paradis, se disait-il.

Il avait fini par se faire aux ricanements à peine masqués qui se déclenchaient alors qu’il passait près d’un banc, accompagné des quelques amis qu’il avait ; ceux qui n’avaient pas peur de se faire mal voir en sa compagnie. Ces gloussements étaient parfois agrémentés de commentaires lancés suffisamment fort pour qu’il les reçoive le mieux possible, et suffisamment bas afin que les surveillants ne les perçoivent pas.

Il aurait été en effet dommage que Dr. Maman et Me Papa fussent reçus dans le bureau du principal car leur chère progéniture, bien que si prometteuse par définition, n’aurait pas intégré le principe pourtant aussi indispensable qu’il est la condition de toute vie en société : le respect de l’autre. Une notion primordiale donc. C’est en tout cas comme cela qu’elle était présentée.

Il revit ce jour où un « grand » de troisième (avec le recul peut-être en partant du bas) était un jour venu près de lui en tenant dans sa main un lacet de ces chaussures de skateboard alors à la mode. Il l’avait placé à quelques centimètres devant ses yeux, et à la manière de ce croque-mort dans Lucky Luke, s’était amusé à le mesurer avec. Il s’était ensuite adressé à ses amis : — Regardez ! Il est plus petit qu’un lacet d’éS ! Et ses amis avaient ri aux larmes.

Ses larmes à lui, il les gardait pour le soir dans sa chambre, avec pour veilleuse la petite lumière verte de l’écran de son poste radio qui éclairait les minutes et les heures qui filaient déjà. Malgré tout, il avait toujours su garder « suffisamment de musique dans son coeur pour faire danser sa vie ».

En attendant, il se tenait là, au milieu des cartables en vrac et de certains de leurs propriétaires, spectateur lui aussi même si malgré lui, incapable de réagir. Il n’y avait plus de musique. Il paraît que, bien que formés et habitués à la violence même la plus extrême, certains soldats, pompiers, policiers, … éprouvent parfois ce sentiment de tétanie face à l’horreur humaine qu’ils ne côtoient que bien trop. Lui n’y était pas entrainé. Pas complètement encore.

Mais cette fois-ci c’était différent, ceux-là au moins savaient compter jusqu’à trois. Et il allait voir ce qu’il allait voir… »

Philippe, En Mai, fais ce qu’il te plaît, 2017.

Nationaux-Salopards.