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Un réveil difficile.

« Il était très tôt. À l’extérieur, derrière ces énormes barreaux, semblables à ceux que l’on utilise pour parquer des animaux, la lumière matinale de ce mois de Mai était d’un bleu glacial. Il avait étonnamment froid. Il ne sentait quasiment plus sa langue qui semblait avoir triplé de volume. Ils avaient mis la dose.

Il venait d’émerger, non sans peine. C’était sa première nuit de sommeil depuis une semaine. Les calmants, en plus de finir de l’assommer, avaient posé sur chacune de ses paupières une véritable chape de plomb. Et c’est elle qui venait les lui refermer à chaque fois qu’il tentait de les rouvrir. Il eut beau déployer le peu de force qu’il lui restait afin d’écarquiller les yeux, rien n’y faisait. C’est le but de ces molécules, paraît-il. Il n’était plus capable de grand chose. Même légalement.

Il put cependant entr’apercevoir l’immense baie vitrée, qui, à en juger par les rayures et autres traces de coups qui s’y trouvaient, n’était pas de première jeunesse. Sa teinte, quasi opaque, masquait une solidité à toute épreuve. À l’extérieur, les épais volets métalliques avaient été relevés. C’était là, la veille, derrière ce rideau de fer (qui était alors à moitié fermé) qu’il s’était tenu debout, complètement hagard, terrorisé, dans ce pyjama bleu clair qu’il portait encore. La fenêtre qui était ouverte de son côté lui avait permis d’entendre les immondices que l’autre cinglée déversait sur lui devant le personnel soignant. Elle doit être en isolement à l’heure qu’il est, se dit-il.

Son lit était bordé sur les côtés par deux barrières qui étaient levées. C’était un peu comme ce lit qu’il avait occupé enfant, aménagé afin qu’il ne tombât pas, les premières nuits après qu’il eut quitté le berceau. Mais ce dans quoi il gisait encore à moitié se rapprochait plus d’un cercueil ouvert. Il se redressa comme il le pouvait, un peu comme lorsque l’on souhaite regarder une série tout en restant au lit. Mais il n’y avait aucun écran, sur aucun des murs.

Ceux-ci étaient d’un vert-bleu délavé, marqués de griffures et autres déchirures plus ou moins profondes. Dieu seul sait ce que ces murs auraient pu lui raconter s’il avaient pu lui parler, ou s’il avait pu les entendre, ce qui, paraît-il, était le cas de certains de ses camardes d’infortune qui se trouvaient ici. De toute façon, ce qu’il voyait là ne lui donnait pas envie d’en savoir plus. Il pouvait suffisamment ressentir toute l’horreur, la violence, la détresse, les cris interminables passés que ces lieux renfermaient. D’ailleurs, dans certains dictionnaires, un des synonymes de «mur» est «garde-fou». Quelle ironie hein ?

Dans les couloirs, l’excitation de la veille avait laissé place à un silence de mort. Il se rappela vaguement avoir dégagé sa main gauche de l’une des infirmières, alors qu’elle la tenait, pendant que sa collègue photographiait avec son téléphone le tatouage qu’il portait à l’annulaire. Leurs rires s’étaient alors brusquement arrêtés. La Bête risquait de se réveiller. Une bête de foire, voilà ce qu’il était devenu. Et le crédit en revenait à ceux-là même qui l’avaient amené à se retrouver ici.

Lui ne riait plus depuis quelques mois déjà. Les événements des derniers jours n’avaient rien arrangé. Il était épuisé, lessivé, comme ces murs dans lesquels pensait finir ses jours. Il revit les regards de son père, de sa compagne qui ne le reconnaissait plus, de ses voisins affolés et de sa mère, que sa petite sœur avait du aider à remplir les papiers qui l’avaient amené d’office ici, car elle n’avait pas pu le faire seule.

C’était son fils, et ses larmes l’en avaient empêché. »

En Mai, fais ce qu’il te plaît, 2017.